Wednesday, March 28, 2007

Dans les bois

Salut à tous,

ce post nécessite une petite explication.
J'écris pour le plaisir, et je vais tester une de mes nouvelles à grande échelle (3-4 personnes) sur ce blog.
Certains d'entre vous l'ont déjà lue, pour d'autres, ce sera une nouveauté.
N'hésitez pas à mettre des commentaires après l'avoir lue (enfin, si vous arrivez jusqu'au bout).
Toute critique sera la bienvenue.


DANS LES BOIS

1

Bernard grommelait sous son casque. Sa jambe le faisait souffrir de sa dernière chute. C'était sa troisième depuis une demi-heure. Il commençait à regretter d'avoir entrepris cette longue balade dans la forêt. Cela faisait déjà quatre jours qu'il était parti de chez lui avec sa petite moto de tout-terrain, le sac de couchage sanglé sur le porte-bagages. Quatre jours depuis le dernier appel de son ex-femme.
Depuis qu'elle était partie, sa vie était un naufrage continuel. Non, il lui fallait être honnête : le naufrage avait commencé avant le départ de Nathalie. Peut être même la fuite de sa femme était elle une conséquence de sa descente aux enfers. Cette pensée le troubla quelques secondes, juste le temps nécessaires pour que la roue avant dérape sur une racine. Incapable de se rattraper, Bernard chuta encore une fois, se recevant douloureusement sur son épaule gauche. Son casque heurta le sol meuble, pas assez fort pour l'assommer, mais suffisamment pour l'étourdir.
Sa jambe gauche coincée sous la moto, il entendit le petit moteur quatre-temps caler. Grognant et soufflant bruyamment, il se dégagea péniblement de sous la moto. Il était accablé de fatigue, mais il voulait arriver en haut de la colline pour bivouaquer. Deux heures avant, le vieux garde-champêtre l'avait dissuadé d'aller dans cette direction, lui conseillant un chemin plus facile et plus joli. Mais Bernard ne l'avait pas écouté. Juste au moment de repartir, le vieil homme avait encore tenté de le convaincre :
- Ne partez pas vers le nord, croyez moi. En plus, il y a une vieille folle qui habite une cabane en haut de la colline. Elle est cinglée et pose des pièges à loup partout. Il lui arrive même de tirer au fusil sur les promeneurs pour les faire fuir. Croyez moi, vous feriez mieux de vous diriger vers la droite. La forêt est bien plus jolie par là, croyez moi.
Sans dire un mot, Bernard avait démarré dirigeant résolument sa moto vers le nord.
Et il commençait à regretter cette décision stupide. Il n'avait pas rencontré de pièges à loup, mais le terrain était devenu vraiment cassant, bien difficile pour sa petite moto de balade.
Il se redressa doucement en titubant, et s'étira pour vérifier que ses articulations fonctionnaient toutes. Laissant la moto au sol, il fit quelques pas maladroits pour se détendre, puis sortit une flasque métallique de la poche intérieure de son blouson. L'alcool lui brûla le gosier, et il lui sembla reprendre des forces. La flasque était maintenant vide, mais il devait rester encore une ou deux bouteilles sanglées à l'arrière de la moto. Voilà bien la seule chose qui le faisait tenir depuis le départ de Nathalie, l'alcool. L'esprit constamment embrumé, il arrivait à oublier la douleur qui semblait prendre naissance dans son cerveau pour irradier tout son corps.
La chaleur de l'alcool se diffusait maintenant partout dans son organisme, et il recommença à s'intéresser à la situation présente. La moto était quelques mètres derrière lui, et il se sentit épuisé à l'idée de l'effort qu'il allait devoir fournir pour la redresser.
Pris d'une subite envie d'uriner, il fit encore quelques pas, en direction d'un arbre qui ferait office d'urinoir. Son sexe se recroquevilla dans la fraîcheur de l'air, et de la vapeur se créa autour de son jet d'urine. Ses yeux dans le vague, il vida sa vessie dans la nature. Juste au moment où il refermait son pantalon, il vit des traces au sol trois mètres devant lui, un peu sur sa gauche. Il s'approcha, et identifia les nombreuses empreintes d'un quad tout-terrain, qui semblait indiquer que quelqu'un faisait régulièrement le trajet menant au sommet de la colline.
Il décida de suivre les traces, pour faciliter le reste de son trajet.
Retournant à la moto, il la redressa en peinant, puis relança le moteur. S'aidant des pieds pour arriver jusqu'aux traces de quad, il se lança ensuite à l'assaut de la montée, restant dans les ornières creusées par le passage répété du véhicule à quatre roues.
Son équilibre était rendu précaire par la fatigue et l'alcool.

2

Environ quinze minutes de roulage hasardeux, et il arriva à la périphérie d'une sorte de petite clairière, au centre de laquelle se trouvait un chalet de bois rudimentaire.
Sans faire plus attention aux traces laissées par le quad, il se dirigea vers la maison, les yeux rivés sur la petite cheminée de laquelle s'échappait un mince panache de fumée.
Ce manque d'attention faillit lui être fatal : le sol sembla s'ouvrir sous ses roues, et il chuta d'un mètre cinquante dans une fosse.
Il n'eut même pas le temps de pousser un cri. La moto s'écrasa au fond du trou, cassant des pieux plantés verticalement, et sauvant Bernard d'une mort par empalement. Une douleur fulgurante lui déchira la cuisse droite, puis il bascula sur le côté. Son blouson et son casque lui épargnèrent le pire.
Des lumières dansèrent devant ses yeux, puis son univers s'obscurcit de plus en plus. L'effet anesthésique de l'alcool l'empêcha de sombrer dans l'inconscience.
Un bruit obsédant résonnait dans ses oreilles, le bruit d'un musicien dément frappant sur un tambour tandis que dans le lointain une turbine hurlait.
Il se concentra sur le son du tambour, qui lui paraissait tellement familier. Deux coups rapprochés, un silence, puis à nouveau deux coups rapprochés, puis un autre silence, et comme ça à l'infini. Chaque coup de tambour semblait remuer tout son corps, comme si un lien intime le reliait à l'instrument de musique.
Puis il comprit. Il entendait les battements de son cœur résonner dans ses tympans.
La signification du bruit de turbine lui apparut soudainement : le moteur de sa moto s'était emballé, et si Bernard ne réagissait pas immédiatement, la casse mécanique serait inévitable.
Ignorant la douleur provoquée par chacun de ses mouvements, il chercha du regard la moto, puis allongea le bras en direction du coupe-contact sur le guidon. Sa main n'avait pas encore effleuré le guidon que le moteur se tût dans un bruit de mécanique maltraitée, et de l'huile s'échappa en sifflant, giclant sur son pantalon et provoquant un nuage de fumée dans l'air froid.
Bernard hurla, jura, injuria les dieux, toutes religions confondues, puis son accès de colère le laissa exténué, la jambe droite toujours coincée sous la moto maintenant inutilisable.
Pleurant de rage, il resta un temps indéfini sans pouvoir penser, puis la douleur dans sa cuisse le ramena à sa situation. Il était dans une sorte de fosse, dont le fond était tapissé de pieux pointus plantés verticalement. La fosse était dissimulée par un assemblage de grillage léger, de terre et de feuilles mortes. Un piège ! Un piège à tigres ! Ici, au milieu d'une forêt française. Qui pouvait être assez dingue pour creuser un truc pareil ?
Puis il repensa à l'avertissement du garde-champêtre à propos de la vieille folle et de ses pièges à loups. Sauf que là, le piège était destiné à tuer !
De toutes manières, il fallait d'abord qu'il se sorte de là. Bernard appela au secours, de toute la puissance dont sa voix était encore capable, et attendit. Rien, que le bruit du vent dans les arbres. Rien, pourtant, la cabane semblait habitée. Il cria encore à pleins poumons, et espéra encore.
Et il entendit. Mais ce qu'il entendit le surpris encore plus : une voix qui semblait lointaine, une voix aiguë, appelait au secours !
Ce n'était pas de l'écho, mais bien une voix, probablement féminine, qui demandait de l'aide !!
Une autre personne serait elle prise dans un autre piège ?
Bernard cria encore, et à nouveau, la voix lui répondit, ni plus proche, ni plus lointaine.
La griserie de l'alcool l'avait complètement quitté, et il devait maintenant trouver un moyen de sortir de là. Il n'attendait aucune aide de l'autre victime, et il allait donc devoir se débrouiller seul. La première chose à faire était de dégager sa jambe de sous la moto. Dans sa position, il lui était impossible de soulever la moto, il fallait donc qu'il s'éloigne en rampant. Regardant sur sa droite, il vit des pieux encore intacts et solidement plantés dans le sol. Allongeant le bras, il s'en servit de prise pour sortir de sous la moto, poussant avec la jambe gauche sur la selle pour soulager ses bras, serrant les dents à cause de la douleur.
Bon, première étape réussie. Il lui fallait maintenant sortir de la fosse.
S'aidant des parois du trou, il arriva à se mettre debout, en appui sur sa jambe gauche, et examina la situation. La fosse faisait environ un mètre cinquante de profondeur, mais Bernard était de petite taille, à peine un mètre soixante. Il essaya de se hisser juste à la force des bras, mais, déjà en temps normal, cela lui aurait été difficile : il n'était pas très sportif.
Il essayait de trouver une solution, quand un étourdissement passager faillit lui faire perdre l'équilibre. Il se cramponna de toutes ses forces, terrorisé à l'idée de tomber inconscient et de s'empaler sur un pieu.
Un pieu ! Bien sûr, la solution était là. S'appuyant toujours à la paroi, il se baissa pour ramasser certains des pieux brisés dans sa chute, surtout les pointes. Puis, enfonçant les pointes dans la paroi du fossé à la manière de pitons d'alpinistes, il se confectionna une échelle rudimentaire, à peine capable de supporter son poids.
Gardant un pieu dans chaque main, et appuyant de sa jambe valide sur le barreau le plus bas de l'échelle, il commença sa lente ascension pour s'extraire du trou. Le rythme était toujours le même : pousser avec sa jambe gauche, sortir du sol le pieu dans sa main gauche en assurant sa prise sur la main droite, puis le replanter plus loin. Ensuite, faire de même avec le pieu de sa main gauche. Tirer sur ses bras au maximum pour soulever son pied gauche sans redescendre, et poser ce même pied sur le barreau supérieur de l'escalier improvisé. Souffler un peu.
Il n'entendait plus la voix féminine appeler au secours, seuls les battements de son cœur étaient audibles.
Au bout de dix minutes d'efforts et de souffrance, il arriva enfin à se hisser en dehors du piège à tigres. Il resta étendu sur le sol, face contre terre, attendant que son cœur et sa respiration se calment. Il redoutait par dessus tout de tourner de l’œil.
La présence du chalet de rondins l'inquiétait par dessus tout: il ne doutait pas que le piège était l’œuvre de l'occupant de cette cabane, probablement la vieille folle évoquée par le garde-champêtre. Qui sait ce que cette malade lui ferait si elle le trouvait inanimé au bord du piège ?
Les bruits de la forêt recommencèrent à se frayer un chemin jusqu'à sa conscience, et il trouva la force de se relever doucement, en évitant tout mouvement brusques. Debout, il faisait peser tout son poids sur sa jambe gauche, appuyant avec sa main sur la blessure de sa cuisse droite. Son regard était dirigé vers la porte de la cabane.
Il cria d'une voix rauque, sans arriver à articuler vraiment, puis attendit.
La voix lointaine lui répondit:
- au secours !
Il cria encore, tournant la tête pour essayer de localiser la provenance de la réponse.
La voix semblait sortir du petit chalet de rondins. Elle n'était donc probablement pas aussi lointaine qu'il le pensait, mais à l'intérieur de l'édifice.
Méfiant, il s'avança vers la porte de bois, guettant tout bruit suspect, prêt à repartir en arrière.
Il cria encore une fois, et encore une fois, il entendit la voix lui répondre, plus proche. La personne demandant du secours était effectivement dans le chalet.
Boitant, il continua à avancer prudemment vers la porte. La blessure de sa jambe droite saignait toujours. Il lui fallait vite trouver de quoi arrêter l'hémorragie.
Il oublia toute prudence et tenta d'ouvrir la porte. Celle ci n'était pas fermée, et il la poussa en grand.
La lumière déclinante de ce début de soirée éclairait chichement un intérieur spartiate : un lit sommaire, une table de bois, une chaise, et un tapis sur le sol. Un petit meuble bas à côté d'une minuscule cheminée complétait l'inventaire de ce chalet. Sur ce meuble trônait fièrement une radio FM démodée, antérieure à l'époque du tout-digital, grise avec de grosses molettes et un cadran balayé par une aiguille mécanique. De cette radio partait un câble électrique relié à une prise mal encastrée dans le mur du chalet.
Bon, il y a de l'électricité ici" se dit Bernard en lui même, rassuré par cette présence tangible de la civilisation.
La voix aiguë le sortit de ses pensées. Elle était beaucoup plus proche maintenant, et pourtant, en tournant la tête, il pouvait voir l'intérieur de tout le chalet, et il y était seul.
La voix retentit encore une fois, et elle lui sembla provenir de sous ses pieds. Baissant lentement la tête, il posa ses yeux sur le tapis bon marché qui recouvrait le sol au centre de la pièce. En boitant, il se dirigea vers le lit, s'assit, et tira sur le tapis. Une trappe ! Volontairement dissimulée. Et il ne doutait plus que la voix appelant au secours provenait de cette trappe.
Il se leva délicatement, et s'approcha de la trappe. Les charnières avaient été placées de manière à ce que l'on ne les remarque pas en marchant sur le tapis, et il n'y avait pas de poignée, juste une encoche dans un bord permettant de passer deux doigts et ainsi de soulever la trappe.
Il n'hésita pas une seconde et ouvrit le passage, la voix l'accueillit, plus forte maintenant :
- Au secours ! Je suis là, venez m'aider !! S'il vous plait ! Venez m'aider.
La trappe dissimulait un escalier creusé à même le sol, descendant dans une sorte de cave faiblement éclairée par une lumière dansante.
- Au secours, au secours !
La voix était maintenant proche de le l'hystérie. Il répondu avec une voix rendue de plus en plus rauque par son affaiblissement.
- J'arrive. Je descends vous aider, mais je suis blessé.
- Merci ! Qui que vous soyez, merci !
Bernard descendit quelques marches, grimaçant de douleur à chaque fois qu'il devait utiliser sa jambe droite. Il se sentait de plus en plus faible, et il avait l'impression que l'obscurité du lieu s'épaississait alors qu'il se rapprochait de la petit lampe à gaz qui tentait d'illuminer la pièce. Sa vision se brouilla, et dans le halo lumineux de la lampe, il distingua une jeune femme, ou plutôt une adolescente, assise sur un lit bas dans cette cave.
Elle remuait les lèvres, mais aucun son ne parvenait jusqu'à lui. Il fit un pas, puis un autre, et son cerveau complètement brouillé, il s'appuya sur sa jambe droite et s'affala devant lui, inconscient.

3

Le noir semblait moins épais, moins palpable. Bernard arrivait même à distinguer quelques lueurs dansantes. Il tenta d'ouvrir la bouche, mais rien de cohérent ne semblait vouloir en sortir. Il trouva ça terriblement drôle, et commença à rire de bon cœur, à rire de plus ne plus fort.
Une vive douleur à la joue, accompagnée d'un bruit de claquement arrêta instantanément la crise de fou-rire. Il prit conscience d'être couché sur le dos, et au dessus de lui, une jeune fille le regardait, la main levée pour une deuxième gifle.
Il essaya de lui attraper le poignet pour éviter la claque qui n'allait pas tarder, mais ses mains se refermèrent dans le vide. La gifle claqua bruyamment.
- Ca y est, vous êtes réveillé ?
La voix de la fille était rauque. Non, rauque n'était pas le terme approprié. Rocailleuse était mieux adaptée.
- J'ai pansé votre blessure comme j'ai pu, le sang s'est arrêté de couler. Il faut qu'on parte d'ici !
Bernard se releva doucement sur un coude, et la fille se recula légèrement.
- Allez monsieur, s'il vous plait, il faut partir d'ici !
La fille était jeune. Une adolescente. Plutôt jolie, mais pas plus de quinze ans. Elle portait un t-shirt sale, et un vieux jean délavé. Pas de chaussures, mais ses pieds étaient attachés au moyen de menottes reliées à une chaîne. Un déclic se fit dans l'esprit de Bernard : attachée ? Voilà donc la voix qui criait au secours !
Bernard ouvrit la bouche pour parler, toussa, puis réussit à articuler quelques mots.
- Qui êtes vous ? Où suis-je ?
La fille répondit d'une voix exaspérée :
- on a pas le temps pour jouer aux questions-réponses ! Il faut vite partir d'ici avant que la vieille revienne. Si elle vous voit ici, elle va vous tuer !
- Holà ! Quelle vieille ? La vieille folle qui pose des pièges ? Et pourquoi ces menottes ?
Levant les yeux au ciel, l'adolescente commença à raconter d'une voix rapide, les mots se bousculant dans sa bouche.
- J'ai été enlevée il y a deux ans par une vieille femme. Vous avez dû en entendre parler. On voyait mon portrait à la télé. Mes parents s'étaient même débrouillés pour que ma photo soit sur des paquets de lait ! La petite Perrine a été enlevée, merci à qui pourra nous donner des informations permettant de la retrouver ! Ca vous dit rien ? Vous habitez dans une grotte ou quoi ?
Bernard essayait de réfléchir, mais ses pensées étaient encore trop embrouillées. Effectivement, il lui semblait se souvenir d'une enfant prénommée Perrine portée disparue. Ses parents n'avaient pas abandonné l'espoir de la retrouver, mais au bout d'un an, l'histoire était tombée dans l'oubli, comme toujours.
- J'ai été enlevée par une vieille folle qui croit que je suis sa fille. Au début, elle se contentait de me dire de pas sortir, mais j'ai essayé de m'échapper, bien sûr. Alors, elle m'a enfermée dans cette cave, mais j'ai encore réussi à sortir. Elle a enlevé toutes les chaussures, mais je suis parti quand même. J'avais les pieds en sang, et elle m'a rattrapée. Depuis, elle m'attache avec ces menottes, et elle cache les clefs. De toutes façons, je peux plus m'éloigner du lit, la chaîne est trop courte pour aller jusqu'à l'escalier.
Bernard regarda les pieds nus de la fille : ses chevilles étaient profondément marquées par les menottes, et la plante des pieds était marbrée de bleus.
Perrine s'aperçut du regard de Bernard et lui expliqua :
- Depuis ma dernière tentative d'évasion, régulièrement, elle bloque mes pieds, et me frappe avec un bâton, pour que je puisse plus marcher, et donc que je puisse plus partir. Allez, faut partir maintenant. Faut trouver les clefs des menottes et on part d'ici !
Bernard s'assit prudemment au bord du lit, veillant à ne pas faire de mouvements brusques pour éviter un malaise. Les pulsations de son cœur se répercutaient douloureusement dans sa tête et sa cuisse droite, l'empêchant de se concentrer. Il semblait hagard.
Voyant que Bernard n'était pas en état de réagir rapidement par lui même, Perrine prit les rênes de la situation :
- Premièrement, faut trouver les clefs. Montez dans la cabane et cherchez les clefs des menottes. S'il vous plait, m'sieur, faut se grouiller avant que la vieille soit de retour !
Comme un automate, Bernard se leva, et boitant, se dirigea vers les escaliers. S'aidant des mains, il remonta dans la cabane. Le soir s'avançait, et la pénombre s'était installée dans la pièce unique. Il regarda autour de lui, cherchant un trousseau de clef. Rien en évidence. Pas de crochets au mur avec des trousseaux de clefs pendus. Cela aurait été trop simple. Il se dirigea vers le petit meuble, et ouvrir les tiroirs. Ceux ci contenaient des vêtements, quelques revues, mais même en fouillant bien, il ne trouva pas de clef.
Il chercha où l'on pouvait cacher des clefs dans une pièce aussi vide. Rien derrière la radio, rien sur la table, rien sur la chaise. Un sourire narquois illumina le visage de Bernard. Une des plus vieilles cachettes contre les vols : sous le matelas, bien sûr !
Traînant sa jambe blessée, il se dirigea vers le lit, s'assit sur le sol, et releva le matelas, sûr de lui. Pas de clef !!
Son sourire s'effaça instantanément. Il laissa retomber le matelas et réfléchit quelques secondes. Un autre espoir fut vite déçut quand il regarda sous l'oreiller.
Quelque chose semblait ne pas aller dans ce chalet.
Il fit un petit récapitulatif dans son esprit : une radio branchée sur une prise, deux personnes qui vivent dans une cabane au milieu des bois ? Et pour la nourriture ? Pas d'ustensiles de cuisine, pas de provisions ?
Il devait bien y avoir une explication.
Péniblement, il se redressa et se dirigea vers la cave. Arrivé en bas, la voix de Perrine l'interrogea avec anxiété.
- Alors, vous avez les clefs ? Dépêchez vous, il faut partir avant qu'elle revienne. Elle revient quand la nuit tombe.
- Perrine, je n'ai pas trouvé de clefs dans la cabane. Il doit y avoir autre chose que ce chalet. La vieille doit bien avoir des provisions quelque part. D'où vient l'électricité ?
La jeune fille répondit sans avoir besoin de réfléchir.
- Y a un groupe électrogène planqué plus loin dans le bois. Il suffit de suivre le fil électrique qui part de la cabane. Y a aussi un congélateur et quelques outils. Le congélateur est branché en permanence, mais la vieille folle met l'électricité dans la cabane que quand elle est là. Elle doit avoir peux que j'm'en serve pour partir.
Bernard soupira.
- Ok, je vais sortir pour aller jusqu'au générateur. Je pense que la vieille doit planquer les clefs là bas. Et sinon, si il y a des outils, on pourra toujours essayer de couper la chaîne.
Il se releva doucement, veillant à ne pas s'appuyer sur sa jambe droite, et remonta lentement les escaliers
- Dépêchez vous !" lui cria Perrine.



4
Arrivé en haut, Bernard sortit du chalet, et en fit lentement le tour, cherchant un fil électrique. Il le trouva sur le côté opposé à l'entrée.
Lentement, dans la pénombre de plus en plus épaisse, il suivit le fil.
Prudent, il inspectait le sol avec sa main devant lui, ne voulant pas retomber dans un piège. Sa moto ne serait pas là pour lui épargner le pire cette fois ci.
Un ronronnement de moteur lui parvenait de plus en plus clairement. Malgré ça, il ne se pressa pas. Il devait faire vite, mais si il voulait sauver Perrine, il fallait qu'il reste vivant et capable de se déplacer. Il évita donc toute précipitation inutile.
Quelques mètres devant lui, il distingua une petite cabane en bois. Le bruit de moteur provenait de là, il en était sûr.
Il arriva devant une porte en bois, fermée à l'aide d'un cadenas. "Merde! La vieille doit garder les clefs sur elle !!"
Le cadenas était gros, solide, et il ne savait pas du tout crocheter les serrures. Les ferrures fermées par le cadenas semblaient aussi solides. Mais le bois supportant les ferrures paraissait gonflé et pourri par l'humidité. Bernard bougea un peu la porte, et les ferrures bougèrent, faisant forcer les vis plantées dans le bois vermoulu. Retrouvant un peu le moral, Bernard força encore sur la porte, puis essaya de faire tourner le cadenas, pour exercer une torsion sur les ferrures. Une première vis sortit du bois, puis une deuxième, et la porte s'ouvrit en grinçant. L'intérieur du petit cabanon était faiblement éclairé par les voyants du groupe électrogène et ceux du congélateur. Tâtonnant, il trouva un interrupteur, et une ampoule nue éclaira de sa lumière crue l'appentis.
En plus du générateur et du congélateur, il y avait un petit établi, ainsi qu'un panneau avec des outils, et quelques pièces de moto. Bernard se rappela les traces de quad.
Fébrilement, il chercha parmi les outils, mais ne trouva pas de pince coupante suffisamment puissante pour venir à bout des menottes ou de la chaîne qui les reliait au mur.
En désespoir de cause, il prit la plus grosse pince coupante disponible. Il allait sortir du cabanon et retourner au chalet, quand il se rappela que la vieille était censée arriver bientôt, et il retourna prendre une grosse clef anglaise, massue improvisée.
A peine avait il commencé à descendre les escaliers que la voix de Perrine lui demanda anxieusement
- Alors, vous avez les clefs ?
Bernard attendit d'être en bas des escaliers, puis lui montra les outils sans rien dire. Arrivé près de Perrine, il s'assit sur le lit, et chercha le point le plus faible de l'ensemble menottes-chaine.
La grosse laisse d'acier semblait bien trop solide pour la pince, et les menottes ne se laisseraient pas attaquer facilement non plus par les becs de la pince.
Le seul endroit qui laissait entrevoir un espoir était l'anneau de métal reliant chaque menotte à la chaîne.
Bernard attaqua le petit bout de métal avec sa pince, y mettant toutes ses forces. Au bout d'une minute, il regarda le fruit de ses efforts. Une petite entaille était visible.
Il fit un sourire à Perrine, et recommença à attaquer le métal. Il transpirait et haletait, complètement absorbé par sa tache, quand la jeune fille lui tapa sur l'épaule.
Le maillon était presque brisé, et il se tourna vers Perrine avec un sourire triomphant. Mais avant qu'il ne puisse ouvrir la bouche, la jeune fille lui fit signe de se taire et d'écouter. Le bruit d'un véhicule se rapprochait. Soulevant les sourcils, Bernard interrogea silencieusement l'adolescente. Chuchotant, celle ci lui répondit:
-c'est le quad de la vieille. Elle arrive. Et si elle vous trouve, elle va vous tuer.
Perrine semblait affolée.
- Il faut sortir du chalet. Vous allez dehors, vous vous cachez, et vous l'assommez par surprise. Ensuite, on part avec son quad !! Vite, elle n'est pas encore devant le chalet !
Bernard laissa la pince coupante à Perrine, et commença à partir avec la clef anglaise.
- Perrine. Je reviens. N'aie pas peur. Et si je n'arrive pas à l'assommer, je lui pique le quad et je vais prévenir le vieux garde champêtre qui appellera les flics.
- Surtout pas !! Il est de mèche avec elle !! C’est son complice !! Je les ai déjà entendus discuter de moi ensemble. Il ne descend jamais dans la cave, mais il vient régulièrement au chalet !
- Ok, si je ne me sent pas d'assommer la vieille, je pique le quad et je vais directement voir les flics.
Bernard fit un sourire d'encouragement à Perrine, mais en fait, il était terrorisé. Jamais il ne s'était battu dans sa vie d'adulte. Sa dernière bagarre remontait à l'école primaire, et il avait perdu. Contre une fille.
Il se retourna et commença à monter l'escalier du plus vite que sa jambe le lui permettait.
Il traversa la seule pièce du chalet sans s'attarder, et partit se cacher dans la direction de l'appentis contenant le générateur. Il comptait sur le fait que la vieille viendrait tôt ou tard pour ranger le ravitaillement qu'elle ramenait.
La peur lui faisait oublier sa blessure, et il savait que le chemin du chalet à l'appentis n'était pas piégé; cela lui laissa le temps de se cacher avant que les lumières du quad ne trouent la nuit naissante dans la petite clairière.
De sa planque, il entrapercevait le quad qui venait de s'arrêter à l'endroit où était restée sa moto. Il n'arrivait pas à voir le visage de la ravisseuse, mais la position de sa silhouette montrait qu'elle avait trouvée la moto dans le piège. Ne trouvant pas le cadavre, elle comprendrait vite que le conducteur était quelque part, blessé. Et de toutes façons, elle forcerait probablement Perrine à parler.
Le quad avança un peu et fut caché par le chalet, et le bruit du moteur s'arrêta. Une voix féminine grave, une voix d'ogresse, s'éleva dans la pénombre.
- Holà ? Il y a quelqu'un de blessé ? Répondez ?
Le silence suivant parut durer une éternité pour Bernard, et il sursauta involontairement quand la voix reprit :
- Y a quelqu'un ?? hoo !
Bernard retenait sa respiration, s'efforçait de ne pas faire le moindre bruit. Il s'aperçut qu'il tremblait.
Un claquement le fit tressaillir. Il ne s'y connaissait pas beaucoup en armes à feu, mais à force de films d'actions, il savait reconnaître le bruit d'un fusil à pompe que l'on arme.
Il se tassa sur lui même. Cela changeait ses plans. Il aurait peut être pu parvenir à assommer une femme par surprise, mais là, il s'agissait d'une femme armée et sur ses gardes.
Son seul espoir était la fuite. Mais dans son état, il n'irait pas bien loin. Et Perrine comptait sur lui pour l'aider. Donc, plan B : il allait attendre caché, puis voler le quad et foncer vers le village le plus proche. De là, il appellerait la Police. Point barre. Il n'était pas un héros après-tout. Juste un dépressif un peu alcoolique. Il aiderait Perrine, mais sans risquer sa vie outre-mesure.
Des éclats de voix interrompirent ses pensées. Deux voix féminines. D'où il était, il lui était impossible d'entendre correctement. Il isola néanmoins quelques mots : folle, blessé, tuer, meurtre, insensé.
Rien de rassurant en définitive. Quelques cris inarticulés, puis le silence se fit.
Bernard attendit. Puis la peur commença à le stresser. Il remuait sur place, sa blessure le faisait souffrir, et il voulait à tout prix s'échapper de cette clairière, prendre le quad, et laisser les flics s'occuper de tout ça.
Il n'avait plus la notion du temps. Il se dit qu'il avait suffisamment attendu et qu'il pouvait maintenant s'emparer du quad et fuir. Il s'apprêtait à se redresser quand la voix d'ogresse retentit à nouveau ! Il retint un cri de surprise. Tous ses muscles étaient tétanisés par une frayeur intense.
- Je sais que vous êtes là ! Je sais aussi que vous voulez voler mon quad pour partir ! Ne faites pas ça, je vous en prie! Sortez, et nous discuterons ! Je ne vous veux aucun mal ! Il ne faut pas écouter les délires de ma petite-fille !
Puis le silence. Long.
Bernard retenait son souffle. Elle ne lui voulait aucun mal ! Et les pièges, c'était juste pour la décoration ? Et le fusil à pompe ? Pour faire fuir les écureuils ?
Il restait dans la même position, accroupi comme pour se lever. Sa cuisse droite lui envoyait une pulsation douloureuse à chaque battement de cœur. Et son cœur battait vite, très vite. Probablement trop vite. Le sol commença à tanguer sous ses pieds, et les arbres semblaient danser autour de lui une folle farandole. Il crispa ses mâchoires, serra les poings à s'incruster les ongles dans les paumes, et mit toute sa volonté pour faire refluer le malaise.
La voix le fit à nouveau sursauter, l'obligeant à reprendre ses esprits :
- S'il vous plait !! Je ne sais pas ce que Marie vous a raconté, mais il ne faut pas la croire ! Elle est folle et dangereuse ! Mais je ne veux pas qu'on me la prenne !! Sortez, et venez me rejoindre dans la maison ! J'ai vu le sang que vous avez perdu ! Je vous soignerai puis nous irons à l'hôpital le plus proche ! Venez avant qu'il ne soit trop tard !
Puis le silence revint.
Bernard ne bougeait toujours pas. En plus de sa blessure, des crampes le lançaient douloureusement. Il commença à se rasseoir. Il n'avait pas l'intention de bouger. S'il sortait de sa cachette, la vieille le tuerait et le ferait disparaître. Personne ne savait où il était parti, personne ne viendrait le chercher ici. La seule personne qui pouvait indiquer où il se trouvait était le vieux garde-champêtre, et il était complice de la vieille. Il viendrait grossir la liste des personnes disparues et jamais retrouvées, et Perrine perdrait une chance, peut être sa seule chance, d'être délivrée de son horrible destin.
Perrine ? La vieille l'avait appelée Marie. Probablement le nom d'un enfant mort en bas âge, évènement qui avait fait vaciller la raison de la femme, et l'avait amenée à enlever Perrine.
Bernard se secoua. Ce n'était pas le moment de s'encombrer de toutes ces pensées. La police tirerait cette histoire au clair une fois que ce serait fini. Si ça se finissait bien pour Perrine et lui...

5

L'obscurité était maintenant complète. La nuit était nuageuse. Ni la lune ni les étoiles ne se montraient, et le couvert des arbres accentuait encore la noirceur. Il était incapable de dire depuis combien de minutes ou d'heures il se trouvait à l'affût près de l'appentis, sans bouger.
La somnolence le gagnait, et sa tête dodelinait déjà. Il se réveillait en sursaut au moment même de l'endormissement, quand sa tête penchait brusquement en avant.
Il ne tiendrait plus très longtemps comme ça, il allait falloir prendre une décision.
Essayer d'atteindre le quad ? La vieille s'attendait sûrement à cette réaction, et devait surveiller le véhicule. Il n'aurait pas la moindre chance.
Fuir à pied ? Pas avec une jambe blessée.
Attaquer ? Il ne pouvait pas compter sur l'effet de surprise.
La situation lui semblait sans issue.
Un bruit lui fit rater un battement de cœur. Le faisceau tremblant d'une torche électrique se découpa dans le noir, venant vers lui. La vieille venait probablement ranger le ravitaillement. Il serra involontairement les poings sur la grosse clef anglaise qu'il tenait toujours.
Il se forçait à respirer lentement, sans bruit, pour ne pas se faire repérer. Le pinceau de lumière passa brièvement sur lui. Retenant sa respiration, il s'attendait à entendre le tonnerre d'un coup de feu, mais la lumière le dépassa sans que la vieille femme ne l'aperçoive. Elle avait la lampe torche dans la main gauche, le fusil à pompe dans la main droite, pointé devant elle, et un sac à dos plein.
Bernard compta jusqu'à trois, puis s'élança d'un coup, mais ses jambes engourdies le trahirent, et il trébucha avant de pouvoir abattre sa clef sur le crâne de la femme. Le bruit fit se retourner cette dernière. Avec une force dont il ne se serait pas cru capable, Bernard fit un pas supplémentaire, et asséna un coup de clef anglaise à l'aveuglette.
Le bruit écœurant du cartilage brisé fut couvert par la détonation du fusil. Un deuxième coup de clef rencontra du métal, et Bernard frappa encore une fois avant que l'outil ne lui échappe.
La torche était sur le sol, éclairant la scène par en dessous.
La vieille était toujours debout, titubant, ses deux mains portées à son visage en sang. Bernard haletait, peinant à se tenir debout. Le fusil était à terre ! Il fallait qu'il s'en empare !
Tournant la tête de tous côtés, il le repéra, juste sur sa gauche. Il s'avança d'un pas mal assuré, mais avant de l'atteindre, une douleur fulgurante dans sa cuisse droite le fit tomber à genoux.
Protégeant sa blessure avec son avant-bras, il réussit à dévier le deuxième coup de pied de la vieille folle, et lui fit perdre l'équilibre.
Il se retrouvèrent face à face, à genoux. Le bas du visage de la vieille n'était plus qu'un masque sanglant, le coup de clef anglaise lui ayant brisé le nez, et probablement une pommette.
Il allongea le bras gauche pour s'emparer du fusil, mais le poing de la femme s'écrasant sur sa face brisa son élan. D'un geste rapide du bras droit, elle attrapa l'arme par le canon, et la ramena à elle, tout en se relevant. Dans un geste réflexe, Bernard posa sa main sur l'arme, et empêcha la femme de s'en servir. Tenant tous les deux fermement le fusil des deux mains, ils étaient maintenant debout, chacun poussant en avant pour déstabiliser l'autre et prendre l'arme.
"Sexe faible, mon oeil !" fut une des rares pensées cohérentes de Bernard pendant cette lutte. La vieille était plus musclée que lui, et elle avait ses deux jambes en bon état. Il reculait peu à peu pour tenter de garder l'équilibre sans lâcher le fusil. Ils dépassèrent ainsi le chalet, et Bernard se rappela les pièges ! Il allait tomber à la renverse dans une fosse garnie de pieux !
Il commença à essayer de secouer le fusil de droite à gauche, sans le lâcher, dans l'espoir de se mettre dos au chalet. Alors débuta une valse mortelle entre les deux adversaires, tournant l'un autour de l'autre, les mains rivées à l'arme, dans une parodie de lutte de sumo.
Bernard avait perdu tout sens de l'orientation. La lampe torche n'éclairait plus jusqu'ici, et il était incapable de savoir où se trouvait le chalet. Ses mains se couvraient de sueur, et il sentait l'arme lui échapper lentement.
Sa main droite lâcha prise en premier. La vieille le sentit, et elle allait lui arracher l'arme des mains lorsque Bernard lui asséna un direct du droit en plein visage. Ses phalanges craquèrent, et la femme bascula en arrière. Il n'eut pas le réflexe d'ouvrir sa main gauche, et il suivit la vieille dans sa chute.
Le sol lui semblait trop loin, et dans un éclair il comprit ! Ils tombaient dans une fosse !
La vieille s'écrasa au fond en poussant un hurlement de douleur, et Bernard s'affala sur elle.
Quelques secondes passèrent. Seuls les gémissements de la femme et les battements du cœur de Bernard rythmaient les secondes.
Le corps de la folle l'avait protégé ! Il n'avait rien !
Il commença à rire, lentement, puis de plus en plus fort. Vivant, il était vivant !
Un mouvement sous son corps lui indiqua qu'il n'était pas le seul. Malgré ses blessures, la vieille bougeait encore. Le sac à dos avait dût lui éviter une mort immédiate. Il lui arracha aisément le fusil des mains, et se mit à califourchon sur la femme, braquant l'arme sur son visage.
Un murmure s'échappait des lèvres tuméfiées de la vieille, un murmure qui ressemblait à des mots. Prudemment, le canon du fusil sur la tempe de la femme, il approcha son visage du sien, et écouta les mots entrecoupés de sanglots :
- ... fille. Je ne sais ... pas ce qu'elle v..vous à dit, .... mais ne la...
une quinte de toux déchira les tympans de Bernard.
- ...ne la croyez pas. Elle inventerait n'importe qu'elle histoire pour s... s'échapper, et continuer à tuer... elle ne veut faire que ça... ma fille est folle, mais c'est ma petite-fille... je ne veux pas qu'on me la prenne... elle a tué mon mari... et mon fils... je n'avais plus qu'elle au monde... et on allait la mettre en prison... alors je me suis enfuie avec elle, et je suis venue ici... un vieil ami m'a aidé à m'installer loin de tout, et il continue à... déconseiller aux promeneurs de monter par ici... un jour, Marie s'est enfuie... je l'ai retrouvée au bout de quatre heures... elle venait d'égorger deux touristes... je ne vous aurais pas tué... je vous... aurais soigné et expliqué...ne la laissez pas s'enfuir ! je vais ... mourir... ne la laissez pas partir... Tuez... la... tuez...la... si vous n'y arrivez pas, demandez au vieux garde-champêtre...mais ne la laissez pas vivre si je ne peux plus... la surveiller... c'est ... une ...enfant... turbulente... tuez...l...
Le murmure de la vieille s'arrêta en même temps que son cœur.

6

Bernard reprit son souffle. Bon sang, et si la vieille disait la vérité ? Il lui fallait sortir de là, laisser Perrine, Marie, ou quelque soit son prénom, attachée, prendre le quad, et aller voir la police. Il ne devait prendre aucun risque.
A tâtons, il chercha la paroi la plus proche. Puis il récupéra des pieux plantés dans la fosse pour se constituer, à nouveau, un escalier de fortune pour sortir du trou.
Il était exténué, et il lui fallut près d'une demi-heure pour se sortir de la fosse, avec le fusil.
Il était proche du chalet, mais il préféra d'abord aller chercher la lampe torche abandonnée sur le sol. Boitant, grimaçant de douleur, il se dirigea lentement vers le chalet, le canon du fusil oscillant devant lui.
Le quad garé devant l'entrée le rassura, puis il s'approcha de l'intérieur, faiblement éclairé par la faible lueur provenant de la lampe à gaz dans la cave.
Juste avant de rentrer dans le chalet, il appela:
- Perrine ? Vous êtes là ?"
Pas de réponse.
- Perrine ?"
Il avança le bras droit, la main tenant le fusil dans l'embrasure de la porte. Un mouvement brusque lui fit retirer son bras, et il vit une main armée d'un couteau de chasse s'abattre à l'endroit où se trouvait son bras la seconde précédente. Sa torche éclaira Perrine, le visage déformé par la terreur, ou par la folie, il n'aurait su dire.
Il leva le fusil à hauteur du visage de la jeune fille, le doigt crispé sur la détente.
Quelques secondes passèrent, puis le visage de Perrine/Marie se transforma d'un coup, exprimant le soulagement. Elle s'effondra en larmes.
- Mon Dieu comme j'ai eu peur. Je croyais que vous étiez mort et que la vieille folle revenait pour me punir. Une fois, des promeneurs ont essayé de m'aider, et elle les a tués. Puis elle m'a emmené en quad pour me forcer à voir les cadavres. Elle les a dépecés devant moi, puis les a jetés dans un gouffre. Après ça, pendant une semaine, elle mettait des bouts de peau dans ma nourriture. Et comme je ne mangeais pas, elle me battait en me disant que j'avais été une vilaine turbulente fille, et que ces gens étaient morts par ma faute.
Les paroles s'échappaient de sa bouche en un torrent tumultueux, les mots se bousculant. Bernard l'écoutait, ne sachant que penser. Il gardait son fusil braqué sur le visage de le jeune fille, et celle ci tenait toujours le couteau de commando dans sa main droite, les bras pendants le long du corps.
L'écoulement du temps se brouilla dans sa tête. Il entendait la voix de la jeune fille, mais il ne comprenait plus ses paroles. La seule chose réelle était le canon du fusil pointé sur ce si jeune, si beau visage, et sa main douloureuse dont l'index tremblait nerveusement sur la détente.
Il secoua la tête pour reprendre pied dans le présent. Perrine venait de lui poser une question, et attendait la réponse.
- Hein ? fut tout ce qu'il put répondre.
- Je vous demandais si vous aviez les clefs du quad ?
Bon sang, les clefs du quad ! La vieille devait les avoir sur elle ! Et elle était au fond de la fosse, morte.
- Non. Je pense qu'elle sont dans la poche de la femme, là bas.
Perrine sortit du chalet, et se dirigea vers le piège. Bernard continuait à la viser avec le fusil, et la jeune fille le remarqua.
- Quoi, qu'est ce qu'il vous arrive ? Venez m'aider, au lieu de rester là avec votre arme. J'ai besoin de lumière pour trouver les clefs!
Bernard baissa le canon du fusil, et s'approcha de la fosse, comme un automate, boitant et soufflant. Il dirigea le faisceau de sa torche vers le cadavre de la vieille. Perrine n'hésita qu'une seconde. Elle descendit dans le piège, s'aidant des pieux disposés par Bernard pour en sortir, et s'agenouilla sur la cadavre, fouillant les poches de la veste et du pantalon. Au bout d'une minute, elle tendit le bras, triomphante:
- je les ais !
Prestement, elle sortit du trou, et tendit les clefs à Bernard.
- Vous savez conduire ces engins, monsieur ? Car moi, je ne sais pas du tout.
Sans un mot, il prit les clefs, et se dirigea vers le véhicule tout-terrain. Au moment de s'asseoir dessus, il s'arrêta. Il allait avoir besoin de ses deux mains pour conduire, et Perrine serait derrière lui. Il serait une proie facile !
Il considéra les autres options : tuer la fille d'un coup de fusil, ou la laisser là, libre.
Il se sentait incapable de tuer qui que ce soit. La vieille était morte par accident, il n'avait pas eu l'intention de la tuer. Il voulait juste l'assommer.
Laisser Perrine ici ? Si elle était bien ce qu'elle disait, c'était criminel de la laisser seule sur place. Et si elle était vraiment une furie meurtrière, et bien...
Il ne pouvait se convaincre que la vieille disait vrai. Après une petite hésitation, il posa le fusil dans le panier sur le porte-bagages, s'installa en selle, et démarra l'engin. Après avoir allumé les phares, il cria à Perrine de monter derrière lui. Elle s'avança dans la lumière des phares, tenant toujours son couteau à la main, puis elle passa derrière Bernard et s'assit derrière lui. Elle noua ses bras autour de sa taille, et il put voir qu'elle ne tenait plus le couteau. Il recommença à respirer.


7

Bernard fit suivre au quad les traces laissées par les fréquents passages de la vieille. Il descendait lentement, peu habitué qu'il était aux engins à quatre roues. Sa main droite l'élançait après le coup de poing qu'il avait donné à la vieille, et la douleur dans sa jambe l'empêchait de bien placer son corps sur le quad pour corriger l'équilibre.
Après vingt minutes de cette descente tranquille, Bernard commença à se détendre. C'est alors que le bruit explosa à ses oreilles : un coup de feu ! Il freina en catastrophe, et un deuxième coup de feu retentit. Des éclats de bois volèrent près de son visage : on les visait !
Il se jeta de côté, laissant le quad continuer seul sur sa lancée. Perrine avait anticipé son mouvement, et elle était déjà couchée sur le sol.
En rampant, ils se mirent à l'abri derrière des arbres. Ils ne savaient pas précisément d'où venaient les tirs, mais le bruit leur en donnait une vague idée.
Un choc sourd fit sursauter Bernard : le quad venait de taper dans un arbre. Le moteur continuait de tourner, lentement. Le seul autre bruit venait de Perrine, couchée au sol à quelques mètres de lui.
Un nouveau coup de feu claqua dans la nuit. L'impact se situait près de Perrine. Encore un claquement de fusil. Il repéra la lueur du coup de feu, environ cinquante mètres en aval. L'impact lui sembla se rapprocher encore de Perrine.
Et leurs seules armes étaient sur le quad !
Il commença à se diriger en rampant lentement vers le véhicule, se repérant aux bruit du moteur et aux feux de position encore allumés.
Un nouveau coup de feu déchira la nuit. Maintenant, il en était sûr, le tireur visait Perrine uniquement. C'était probablement le vieux garde-champêtre, le complice de la vieille. Il avait dû être alerté par le coup de fusil tiré pendant sa bagarre avec la folle.
Bernard continua à ramper, se rapprochant doucement de l'arrière du quad.
Deux nouveaux tirs de fusil. Les détonations lui paraissaient plus assourdissantes. Le tireur devait se rapprocher pour avoir plus de chances de toucher ses cibles.
Maintenant, Bernard était juste sous l'arrière du quad. Les gaz d'échappements lui fouettaient le visage. D'un bond maladroit, il se releva, et plongea son bras gauche dans le panier du quad. Il tâtonna aussi vite qu'il le pouvait. Vide ! Les armes n'y étaient plus ! Elles avaient dû tomber avec les cahots.
Un coup de feu le fit sursauter, et il se jeta au sol.
Le tireur se rapprochait encore.
Puis le bruit d'une autre arme à feu explosa dans la nuit. Il connaissait déjà ce bruit, c'était celui du fusil à pompe.
Perrine avait réussi à s'emparer du fusil, et les défendait.
Réarmant l'arme aussi vite qu'elle le pouvait, Perrine déclencha un déluge de feu en direction du tireur, qui riposta une fois, puis hurla de douleur. Mais la jeune fille continua à tirer, jusqu'à ce que le déclic du percuteur retombant à vide se fasse entendre.
Puis le silence revint, seulement troublé par le bruit du moteur qui continuait de tourner au ralenti.
Bernard n'osait pas se relever, et Perrine ne bougeait plus. Elle se tenait à genoux, son arme devenue inutile fermement braquée devant elle.
Quelques minutes passèrent, puis un gémissement s'éleva. Le garde-champêtre devait encore être en vie. Perrine s'approcha de Bernard, et lui passa le poignard.
Ensemble, il s'approchèrent de l'endroit où se trouvait le vieil homme. Seule la lueur des feux de route du quad leur permettait de s'orienter.
Le garde-champêtre gisait à côté de son fusil, respirant difficilement. Bernard écarta l'arme d'un coup de pied, puis se pencha vers le vieil homme, le poignard à la main. Les lèvres du vieillard bougèrent comme pour parler, mais aucun son ne franchit sa bouche.
Un spasme secoua son corps, et il cessa de respirer.
Bernard n'avait rien entendu, mais il aurait pu jurer que les derniers mots du vieillard avaient été "tuez la."
Il se redressa douloureusement, puis ramassa le fusil du vieux.
Sans un mot, il retourna vers le quad, et, aidé de Perrine, ils le firent reculer pour pouvoir repartir.
Ils posèrent les armes dans le panier et reprirent leur chemin, plus lentement encore, car un phare avait été brisé lors du choc avec l'arbre.


8

Deux heures leur furent nécessaires pour arriver près d'un chemin goudronné.
Bernard engagea le véhicule sur la route, puis s'arrêta quelques instants.
Il allait dire à Perrine que le cauchemar était enfin terminé, mais une vive douleur à la gorge l'en empêcha.
Comme dans un rêve, il vit la lame sanglante du poignard passer devant ses yeux, tenue par la petite main de Perrine.
Alors, une douce voix murmura à son oreille gauche:
- Merci de ton aide, pauvre débile.
Ce furent les derniers mots qu'il entendit.

FIN

5 Comments:

Blogger Maoria said...

Je redécouvre cette nouvelle avec plaisir. J'attends les suivantes avec impatience :-)

1:38 PM  
Anonymous Anonymous said...

Excellente idée de publier tes nouvelles Oliv' !

Une autre ! Une autre ! Une autre !

//FAB

4:59 AM  
Anonymous Anonymous said...

Déjà lue !!!
Une nouvelle ! Une nouvelle !! Une nouvelle !!!

Tof

7:10 AM  
Blogger Unknown said...

impressionnant, captivant !!!!jusqu'à la dernière ligne bravo !!

2:12 PM  
Anonymous Anonymous said...

Bravo ! je pense que Marielle sera de mon avis : affaire rondement menée !

4:04 PM  

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